L’effet Dunning-Kruger : quand l'incompétence professionnelle mène à la surconfiance

17 octobre 2024 12:42

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L’effet Dunning-Kruger, du nom des psychologues David Dunning et Justin Kruger, désigne un biais cognitif selon lequel les personnes incompétentes dans un domaine tendent à surestimer leurs capacités. Découvert en 1999, cet effet est basé sur une série d’études montrant que les individus les moins performants ont souvent une perception erronée de leur niveau de compétence, tandis que ceux qui maîtrisent mieux un sujet ont tendance à se sous-estimer. Ce phénomène a des répercussions notables dans divers domaines, y compris dans le monde professionnel, où il peut affecter la prise de décision, la gestion des équipes, et l’efficacité globale de l’entreprise.


Comprendre l’effet Dunning-Kruger : les bases du biais cognitif

Pour faire simple, l’effet Dunning-Kruger se manifeste par un excès de confiance en soi. Ce biais cognitif, qui déforme la perception de la réalité, pousse une personne à croire qu’elle est compétente dans un domaine alors qu’elle ne possède aucune qualification réelle. Ce phénomène se caractérise par l’incapacité des personnes affectées à reconnaître leur propre incompétence, les empêchant ainsi à améliorer leurs compétences ou acquérir des connaissances nécessaires.

Ce concept a vu le jour à la fin des années 1990. Le point déclencheur ? L’histoire de McArthur Wheeler, un braqueur de banque américain interpellé en 1995. Wheeler était convaincu qu'il pouvait échapper aux caméras de surveillance en se badigeonnant le visage de jus de citron, persuadé que cela rendrait son visage invisible. Cette croyance reposait sur une interprétation erronée des propriétés du jus de citron, parfois utilisé pour écrire de l'encre invisible. Malheureusement pour lui, il a rapidement été identifié et arrêté grâce aux fameuses caméras !

Deux psychologues, David Dunning et Justin Kruger, intrigués par la capacité d’un individu à afficher une telle confiance en soi, aussi démesurée que stupide, ont commencé à s'intéresser à son cas. Ils ont ensuite mené des recherches approfondies sur la relation (souvent absente) entre arrogance et compétence. En 1999, ils ont réalisé une étude impliquant 65 de leurs étudiants, ce qui les a conduits à théoriser ce qu’on appelle depuis "l'effet Dunning-Kruger". Leur travail s'est basé sur une hypothèse inspirée par Charles Darwin : "L’ignorance engendre plus fréquemment la confiance en soi que ne le fait la connaissance." Cette théorie paradoxale a pris forme concrètement dans une courbe qui est devenue célèbre à l’échelle mondiale.

Après avoir soumis leurs étudiants à une série de tests sur des sujets variés tels que l'humour, la logique et la grammaire, Dunning et Kruger ont obtenu des résultats frappants. Ils ont constaté que les étudiants les moins performants étaient aussi ceux qui avaient tendance à surestimer leurs compétences, tandis que ceux qui excellaient dans ces domaines avaient souvent une perception trop modeste de leurs propres capacités.

Le principe central de l'effet Dunning-Kruger repose sur deux éléments :
  • L’incompétence non perçue : les individus qui ne maîtrisent pas un sujet ou une compétence manquent souvent des connaissances nécessaires pour évaluer correctement leur propre niveau de compétence. Par conséquent, ils surestiment leur performance, pensant être plus compétents qu'ils ne le sont en réalité.
  • La sous-estimation des experts : à l'inverse, les personnes plus compétentes sont conscientes de la complexité du sujet et ont tendance à sous-évaluer leurs capacités, pensant que leurs compétences sont banales ou communes.


Le monde professionnel : un terrain fertile pour l’effet Dunning-Kruger

Dans le milieu professionnel, l’effet Dunning-Kruger peut entraîner une série de problèmes liés à la gestion des ressources humaines, à l'organisation du travail et à la prise de décisions stratégiques. Quel que soit le profil de la personne concernée, les conséquences de ce phénomène sur l'ensemble de l'équipe peuvent entraver sa progression, nuire à sa productivité et altérer la qualité de la communication.

Les pièges du recrutement

Le premier écueil que présente l’effet Dunning-Kruger concerne particulièrement les professionnels des Ressources Humaines, en particulier ceux impliqués dans le recrutement. Dans le monde du travail, il est bien établi que les personnes les plus sûres d'elles tendent à susciter davantage de sympathie auprès des décideurs.

Lors des entretiens d'embauche, cette surconfiance peut camoufler leurs lacunes et séduire les recruteurs. Un collaborateur qui manque de compétences, mais qui affiche une grande confiance en soi, est souvent incapable de reconnaître ses faiblesses. Il est également probable qu'il refuse de suivre des formations ou de respecter les consignes établies. Ce comportement inapproprié peut engendrer un trouble et une confusion au sein de l'équipe, perturbant ainsi la dynamique de travail.

Les dangers du déni : comment ignorer les critiques mène à de mauvaises décisions

Les personnes touchées par l’effet Dunning-Kruger ont souvent du mal à accepter les critiques, car elles ne sont pas conscientes de leurs erreurs ou de leurs lacunes. Cela peut engendrer des tensions au sein des équipes, car elles peuvent rejeter les conseils des autres ou être réticentes à demander de l’aide. Dans un environnement de travail, cette attitude peut freiner la croissance personnelle et professionnelle, créant un blocage au niveau de l'amélioration continue.

Une des conséquences immédiates est que ces individus sous-qualifiés, mais persuadés de leurs compétences, peuvent prendre des décisions peu judicieuses. Cela se manifeste par des stratégies mal élaborées, des projets mal gérés ou des actions inefficaces. Ces personnes, ne reconnaissant pas leurs limites, tendent à minimiser les risques et à prendre des décisions hâtives sans solliciter l'avis de leurs collègues plus expérimentés. Cette situation peut créer des dysfonctionnements au sein des équipes et compromettre l'atteinte des objectifs fixés.

Quand la dynamique d'équipe est perturbée

Dans une équipe, un collaborateur incompétent qui se surestime peut gravement perturber la dynamique de groupe. Sa confiance excessive peut entraîner une répartition déséquilibrée des responsabilités, car il est enclin à revendiquer des tâches pour lesquelles il n'est pas vraiment qualifié. Cette situation crée souvent des frustrations chez ses collègues, en particulier ceux qui possèdent davantage de compétences mais qui hésitent à s'affirmer ou à revendiquer leur expertise. Les sentiments de jalousie, de fatigue, et les doutes permanents, accompagnés d'une mauvaise communication et de problèmes de management, engendrent inévitablement des conflits et des tensions au sein de l'équipe. Cela peut également aboutir à des situations de burn-out et à des démissions inattendues.

Ainsi, écrasés par l'attitude arrogante et narcissique de leur collègue, ces collaborateurs voient leur progression personnelle entravée, devenant ainsi les principales victimes de l'effet Dunning-Kruger.

Les risques pour le leadership et la gestion

Véritable source de perturbation, un individu incompétent qui ne réalise pas son manque de compétences ne met pas seulement en péril l'ambiance générale de l'entreprise, mais l’entraîne dans un cycle de sous-performance potentiellement désastreux. 

En effet, un leader qui surestime ses capacités peut entraîner une mauvaise gestion des équipes, une répartition inefficace des tâches, ou encore la prise de décisions stratégiques dangereuses pour l'entreprise. L'absence de remise en question et la réticence à déléguer des responsabilités à des subordonnés plus compétents peuvent créer un environnement de travail toxique. Incapable de dénicher les nouvelles tendances, refusant d’admettre que ses connaissances ne sont pas à jour, il peut mener la stratégie économique de l’entreprise dans une véritable impasse.

Totalement, narcissique, un manager incompétent est non seulement aveugle à ses propres lacunes, mais également complètement inopérant. Cela est particulièrement vrai s'il a obtenu son poste grâce à des promotions injustifiées, accordées par des décideurs séduits et manipulés par son assurance excessive

Les dangers des promotions basées sur la confiance aveugle

Les personnes souffrant d'une surabondance de confiance ont souvent la fâcheuse tendance à s'attribuer la totalité du mérite résultant d'un travail collectif, tout en étant incapables de mesurer la véritable portée de leurs actions, même lorsque celles-ci sont limitées. Avec un charisme indéniable, elles écrasent leurs collègues sous le poids de leurs lacunes et n'hésitent pas à recourir aux pires manigances (comme la trahison) pour atteindre leurs objectifs. Grâce à cette stratégie, elles réussissent à se faire bien voir de la hiérarchie (qui n’y voit que du feu) et obtiennent plus facilement promotions et augmentations de salaire.

Une entreprise qui ne parvient pas à contenir l'effet Dunning-Kruger risque ainsi de voir les employés les moins compétents accéder à des postes de responsabilité, engendrant un véritable embouteillage d'incompétents aux échelons supérieurs. 


Le "paradoxe de la compétence” : pourquoi les vrais experts doutent-ils ?

À l'inverse, les personnes véritablement compétentes ont souvent tendance à sous-estimer leurs capacités, un phénomène connu sous le nom de "paradoxe de la compétence”.  Bien qu'il ne soit pas formellement attribué à une seule personne comme l'effet Dunning-Kruger, c’est un concept largement étudié en psychologie cognitive et en gestion des ressources humaines. 

Le paradoxe de la compétence se manifeste lorsque les véritables experts, bien qu’ils maîtrisent un sujet, doutent souvent de leurs compétences. Ce phénomène s’explique par plusieurs facteurs psychologiques. D’abord, les experts ont une meilleure compréhension de la complexité inhérente à leur domaine. Contrairement aux personnes moins qualifiées qui ne voient qu'une partie superficielle d'une tâche, les experts perçoivent les subtilités, les exceptions et les incertitudes. Cette vision plus nuancée les pousse à remettre en question leur propre savoir et à se comparer à des standards plus élevés ou à des figures d’autorité, ce qui peut nourrir un sentiment d’insuffisance.

Ensuite, les experts sont constamment en apprentissage. Plus ils en savent, plus ils réalisent à quel point le champ de connaissances est vaste, ce qui peut générer un doute quant à leur propre expertise. Ce doute est sain dans une certaine mesure, car il encourage la curiosité intellectuelle et une remise en question constructive. Cependant, il peut devenir un frein lorsqu’il empêche ces personnes de revendiquer leur expertise ou d'oser prendre la parole dans des discussions professionnelles.

Dans le contexte professionnel, ce paradoxe peut limiter l’ascension de ces individus. Les experts peuvent hésiter à postuler à des postes plus élevés ou à assumer des responsabilités supplémentaires, craignant de ne pas être à la hauteur. Ce phénomène est parfois exacerbé par des environnements compétitifs où la modestie des experts peut les désavantager face à des individus moins qualifiés mais plus confiants.


Comment minimiser l’effet Dunning-Kruger dans le monde professionnel ?

Pour minimiser l’effet Dunning-Kruger dans le monde professionnel, il est essentiel de créer un environnement où les employés peuvent développer une conscience plus réaliste de leurs compétences tout en améliorant constamment leurs connaissances.

L’une des premières étapes consiste à instaurer une culture de formation continue. Offrir aux employés des opportunités régulières de formation et de perfectionnement les aide à identifier les lacunes dans leurs compétences. Cela leur permet de mieux évaluer leurs capacités tout en leur donnant les outils nécessaires pour combler les éventuels manques. Les ateliers, les cours en ligne et les séminaires sont autant de moyens d’encourager une réflexion active sur leurs niveaux de compétence. En mettant en place des plans de formation personnalisés, les entreprises peuvent aider leurs collaborateurs à progresser sans qu’ils ne se sentent dépassés par la complexité croissante de leur domaine d’activité.

En parallèle, il est crucial de promouvoir une culture de feedback ouverte et constructive. Dans un environnement où les retours sont fréquents, objectifs et bienveillants, les employés sont plus à même de prendre conscience de leurs forces et de leurs faiblesses. Pour que cette approche soit efficace, il est important de former les managers et les superviseurs à fournir des critiques constructives et à encourager les échanges entre pairs. L’utilisation de feedbacks à 360°, par exemple, qui impliquent des retours de collègues, subordonnés et supérieurs hiérarchiques, permet d’avoir une vision plus complète des compétences et des comportements. Cela aide à corriger les perceptions erronées que peuvent avoir certains collaborateurs concernant leur niveau de compétence.

Les systèmes d’évaluation objectifs jouent également un rôle clé. L’instauration d’outils de mesure des performances basés sur des critères clairs et quantifiables permet d’avoir une image plus précise des résultats obtenus par chacun. Ces systèmes peuvent inclure des indicateurs de performance clé (KPI), des tests de compétences, ou des évaluations basées sur des objectifs prédéfinis. En s’appuyant sur des données tangibles, les entreprises peuvent réduire les biais cognitifs et fournir aux employés une évaluation plus juste de leurs compétences réelles.

Pour aller plus loin, il est recommandé de favoriser le mentorat et le coaching. Les programmes de mentorat permettent aux employés moins expérimentés de bénéficier des conseils d’un senior, ce qui leur donne une perspective réaliste sur leur propre progression. Le mentorat aide à identifier plus facilement les domaines à améliorer tout en les guidant dans leur développement professionnel. De même, le coaching régulier, que ce soit par un coach interne ou externe, permet de suivre les progrès et de maintenir un feedback continu.

Il est aussi bénéfique de créer une culture où l'apprentissage de l’erreur est encouragé. L’une des causes de l’effet Dunning-Kruger est la tendance à surestimer ses compétences parce que l’on ne réalise pas pleinement la complexité de certaines tâches. En valorisant l’erreur comme un moyen d'apprentissage plutôt qu'un signe d'incompétence, les employés sont plus enclins à reconnaître leurs limites et à travailler à les surmonter. En organisant des sessions de retour d’expérience ou des études de cas sur des projets réussis et échoués, les équipes peuvent apprendre à partir des erreurs collectives.

Un autre moyen efficace consiste à créer des parcours d’évolution de carrière transparents. Lorsque les attentes en matière de compétences et de performance sont claires à chaque étape de la progression professionnelle, les employés peuvent se situer plus facilement par rapport aux exigences de leur poste actuel et futur. Cela limite les situations où certains pourraient surestimer leurs capacités ou leur niveau de préparation pour des postes à plus haute responsabilité. Une grille de compétences ou des systèmes de certification internes sont des outils qui peuvent aider à cette mise en place.

Enfin, pour éviter d’être trompé par un candidat qui surestime ses compétences, l'un des conseils fondamentaux est de revoir les méthodes de recrutement ainsi que les critères d'évaluation utilisés lors des embauches. La mise en place d’un processus rigoureux et bien défini pour identifier les talents authentiques devient alors la meilleure défense contre ce piège. Cela implique de s’assurer que les critères d'évaluation des compétences soient objectifs et axés sur des résultats concrets, garantissant ainsi que les candidats les plus compétents sont retenus.

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